Cette journée-là, je travaillais sur mes croquis et je savais que la femme qui venait nous aider en faisant le ménage chez nous allait y passer trois heures. Je savais aussi, car on m’avait prévenu, que les chinois n’ont pas la même routine que nous, lorsqu’il s’agit de nettoyer. Ils n’ont pas non plus la même notion que nous, face à la propreté. Je pense personnellement que nos normes nord-américaines sont exagérées, surtout quand je pense à tous les produits anti-microbres qu’on utilise sans se soucier des effets qu’ils ont sur l’environnement. Je vois tous ces produits sur les tablettes et je fais vite l’équation : c’est dans l’eau qu’on boit qu’on finit par les verser. Ça je l’ai réalisé quand, pour la première fois de ma vie j’ai fait une excursion en kayak sur le Fjord du Saguenay. J’étais à Baie Sainte-Marguerite et les bélugas sont venus nous voir par dizaines de curieux. Certains ont même joué avec nous en nous faisant des coucous ou en dauphinant à nos côtés. Un moment inoubliable. Depuis ce temps, je m’efforce de réduire ma consommation de produits ménagers et de choisir des produits biodégradables.
L’histoire n’est pas là. J’en reviens à la routine de ménage. Elle a pris une chaudière, un torchon, de l’eau chaude et elle a commencé…par le plancher de la salle de bain! Avec le même torchon, je l’ai vue sortir de là pour époussetter les meubles de la chambre. Je l’ai vite interceptée avec une autre guenille, propre celle-là. La dame, très courtoise et souriante par ailleurs, ne s’est pas obstinée. Je travaillais en jetant un œil sur ce qu’elle faisait, question de voir si ce qu’on m’avait raconté sur ce que font les femmes de ménage chinoises était vrai. Plus le temps passait, plus je n’en revenait pas. J’entendais la balayeuse fonctionner depuis un bon moment dans les chambres et dans le corridor. Il m’a semblé que ça faisait bien des minutes passées à balayer un espace aussi restreint. Quand je l’ai vue apparaître dans le salon, j’ai compris. Elle était à quatre pattes et passait l’aspirateur au sol avec l’embout qui sert à aspirer dans les coins. Vous savez, celui qui resemble à une flûte? Imaginez passer votre aspirateur ainsi, sur une surface de 1500 pieds carrés. Je ne l’ai pas laissée terminée. Je lui ai montré l’autre embout, approprié celui-là, qu’on utilise pour les planchers. Elle a rouspetté en chinois en me montrant qu’avec ça, elle ne pourrait pas aller dans les coins de murs, ni derrière le divan. Ah! Le truc madame, c’est qu’il faut le tasser le divan! Elle a bien compris ma démonstration et a semblé satisfaite de la solution que je lui ai apporté.
Toujours avec la même guenille que celle que je lui avait offerte, elle a poursuivi son travail en faisant : planchers, meubles et, finalement, vitres! Pourquoi pas? Rendue à un certain point, je l’ai laissée travailler car chaque interruption de ma part engageait plusieurs minutes de simagrés et d’explications qui ne menaient nulle part, à cause de mon incapacité à m’exprimer en mandarin. Sauf que, lorsqu’au bout de trois heures elle m’a dit avoir fini, j’ai laissé de côté mon travail pour examiner le sien. Elle n’avait pas fait la salle à manger, le comptoir était sale, tout comme les portes du frigidaire. Rien de grave mais tant qu’à avoir quelqu’un qui fait cette corvée, autant avoir un travail complet. L’argumentation pour qu’elle utilise du Windex est épique. C’est comme si la bouteille l’avait menacée de lui couper une main. Elle criait : Bo! Bo! Bo! (traduction : pas, dans le sens de non). Je pointais en souriant, l’air sans doute cynique, les endroits où elle devait en utiliser puis je vaporisais. Elle soupirait de découragement, je ne comprenais pas sa réaction : c’est juste du Windex ?%@$!!. Finalement, quand elle m’a vu prendre du papier essuie-tout et faire les vitres à sa place, elle s’est mise à rire. Elle a repris le flambeau et a terminé son travail. Je la suivais avec le poutch poutch, comme on dit, pour être certaine qu’elle en mette. Je l’amusait. Rendue là, c’est en français que lui disais : « Oui-oui, tu vas voir que la tache, elle va partir avec ça ». Une fois qu’elle a compris le principe, elle m’a fait signe de retourner à ma besogne pendant qu’elle faisait la sienne. Je ne me suis pas obstinée. Je lui avais expliqué en chinois très approximatif qu’elle aurait besoin d’une demi heure de plus pour terminer. Elle m’avait répondu en me disant le prix pour quatre heures. Je n’avais pas compris pourquoi. Mais en la regardant à l’œuvre, j’ai bien saisi : tant qu’à rester, elle allait « faire une heure de plus ». L’expression « faire une heure de plus » ne veut pas dire en soit : nettoyer pendant une heure de plus. Non. Ici, c’est carrément du temps qu’elle a fait, car une fois les vitres faites (et non propres), elle s’est mises à promener son torchon non-chalamment. Je ne lui en veut pas. Parce qu’en Chine, la propreté ça n’existe pas. En tout cas, pas comme chez nous. C’est pour ça que je ne lui en veut pas et, à la limite, je me dis que c’est mieux ainsi parce que, à la quantité qu’ils sont ces Chinois, s’ils nettoyaient et aseptisaient autant que nous le faisons, nord-américains, je parie que la planète s’en porterait très mal. Vivement les produits écolos, pour toutes les bourses!