Une mission tracée depuis longtemps


Laissez-moi vous raconter une petite histoire. Celle d’une enfant, Canadienne, Québécoise, qui, au début des années 80, a semé sans le savoir une graine de désir, qu’elle a ensuite oubliée. Ce n’est que trente ans après, que le germe a éclos, que la fleur tente maintenant de sortir, au beau milieu d’un terrain hostile. Mais avant, je vous transporte en janvier dernier, dans mon bureau à Shanghai.

Je suis en train de trier mes affaires et je me parle à voix haute, ça m’arrive : ça je le rapporte au Canada, ça je laisse ici; cette personne est à contacter à mon retour, cette carte d’affaire n’est plus nécessaire; ne pas oublier de réactiver mon assurance-maladie, faire faire les papiers pour rapporter la chienne et la chatte avec moi et ainsi de suite. Je suis décidée ferme à ce moment à revenir pour de bon au Canada, à refaire ma vie après une aventure exaltante en Chine qui aura duré cinq ans. Dans ma tête, j’ai fait le tour, il est temps de rentrer au pays alors j’ai en ma possession un billet d’avion de retour seulement, Shanghai-Montréal, dû le 24 juin 2013. Je me crois bien certaine et en possession de mon destin. Lorsque soudain, je reçois un courriel qui va changer le cours de ma vie, mais je ne le sais pas à ce moment.

C’est Shanghai Baobei et Shanghai Baby’s Home qui envoient à tous leurs bénévoles dont je suis, une demande, un appel à l’aide. On est à l’approche du congé national Chinois, dans une semaine en fait, et ils ont besoin de familles d’accueil pour les orphelins qu’ils hébergent dans leurs centres de réhabilitation car les ayis (nounous) retournent dans leur ville natale le temps du congé. J’avais fait du bénévolat pour eux afin d’assouvir mon désir d’être maman qui ne s’était pas concrétisé jusque-là. Ainsi, une fois à l’occasion, j’allais bercer des petits orphelins, leur donner à boire, à manger, jouer avec eux. Ces petits en avaient grandement besoin car, en plus d’être orphelins, ils ont eu une intervention chirurgicale pour un spina bifuda, un bec de lièvre, des problèmes cardiaques, des cancers, des membres difformes, etc.

Je me suis dit: ‘Eh bien, là voilà ma chance de valider si c’est vrai que je veux être maman et surtout, si je suis apte à l’être!’ J’ai pensé que sur ma liste de choses à faire, avant mon retour au Canada, ce serait un réel bonus que de pouvoir cocher cette case: valider si je veux être maman-oui. Sauf que je ne m’attendais pas à ce qui s’est produit. J’ai répondu à l’annonce, on m’a envoyé la liste des petits aptes à aller en famille d’accueil, ceux pour qui la convalescence était terminée. J’ai choisi un petit garçon de 16 mois, que je suis allée chercher une semaine plus tard, pour 10 jours. Mais, le matin de notre rencontre, la directrice de Shanghai Baby’s Home m’annonce que le petit est fiévreux, qu’il ne doit pas quitter l’hôpital. Elle me propose un autre garçon, du même âge, avec qui je passe une trentaine de minutes dans la salle de jeu. J’ai beau tout essayer, les coucous, les jouets, les mots gentils en chinois, les sourires, la nourriture, entre lui et moi, ça ne passe pas. Désolée, je demande à la directrice si je peux aider un autre enfant que celui-ci pendant ces dix jours. Elle me dit que c’est possible, mais que ce serait une petite fille, et qu’elle est pas mal plus jeune…que je devrais me lever la nuit pour lui donner son boire. Surprise et mise au défi, je réfléchis un court instant et j’accepte. ‘Perfect’ répond Karen. ‘We will get her ready and take her here for you, just wait a little bit.’

Cette situation peut sembler incongrue à quiconque lit ces lignes, ne vivant pas en Chine. À tout le moins, c’est surprenant, avouons-le. J’étais sur le point de quitter cet hôpital de Pudong avec une enfant que je n’avais jamais vue de ma vie, que je ne connaissais pas et que nous serions ensemble 24/24 pendant dix jours, dans mon environnement à la maison, soit à Shanghai. Certes, on me connaissait par l’entremise du bénévolat que j’avais fait, mais je n’ai rempli aucun formulaire, on a fait aucune évaluation de mon profil et on a pas non plus demandé mon adresse. Seulement qu’une copie de mon passeport a été nécessaire pour me donner un statut de famille d’accueil, pas de parent adoptant, j’en conviens, mais tout de même!

Bref, au moment où la petite est arrivée, avec son habit d’hiver en lapin, quelque chose d’unique s’est produit. Un courant électrique, comme un choc quand on se met les doigts dans la prise de courant, m’est passé le long de la colonne en remontant vers la tête quand on me la remise entre les mains. On s’est regardées, intensément dans les yeux, sérieuses d’abord puis, avec un sourire. Je me suis exclamée: ‘Mais je te connais toi!’ Pourtant, ce n’était pas une enfant que j’avais bercée ni dont je m’étais occupée durant mes heures de bénévolat. C’était un sentiment profond, une rencontre entre deux personnes qui, selon les croyances qu’on adopte, se sont déjà connues ailleurs…

Ce qui m’amène à vous raconter la suite de mon premier paragraphe…Lorsque j’étais petite, ma mère avait caché, dans le dernier tiroir d’une vieille commode au sous-sol, une boîte en métal dans laquelle elle gardait quelques souvenirs d’enfance : des barrettes à cheveux, un médaillon de la Sainte-Vierge, quelques babioles que j’ai oubliées depuis et, fait marquant dans cette histoire, des cartes, comme des cartes de hockey qu’on collectionne quand on est jeunes, mais avec la photo d’orphelins chinois dessus. Ils devaient avoir entre 3 et 5 ans, ils portaient des vêtements différents des miens, ils avaient les yeux bridés, le teint plutôt foncé. Chaque enfant avait sa carte, son nom chinois dactylographié en pinyin dessous et son âge. À l’endos de la carte, une prière pour cet enfant et le nom de la congrégation religieuse qui vendait ces cartes pour cinq sous il y a peut-être 50 ans de cela…Et moi, petite Canadienne, Québécoise, encore inconsciente de mon identité et de ma chance d’enfant vivant dans un pays développé, je me souviens d’avoir pris ces cartes dans mes mains souvent, regardant ces enfants dans les yeux, comme s’ils allaient s’animer dans la photo et pouvoir me dire si vraiment, ils existaient et si c’était vrai qu’il sont des orphelins. Était-ce bien vrai tout cela, où étaient leurs parents et pourquoi les avait-on abandonnés?

Il m’a fallu plus de trente ans et le rêve de vouloir m’accomplir professionnellement en Chine, pour trouver la réponse à mes questions jusque-là oubliées. Le 9 février 2013, dans un élan de compassion et avec le désir de répondre à la question si oui ou non je suis apte à être maman, je suis revenue à la maison avec Wanwan. J’avais complètement oublié cette anecdote des cartes de petits orphelins Chinois. Elle ne m’est revenu qu’au moment où j’ai vu un portrait de Wanwan, que j’ai pris d’elle durant ses premiers jours à la maison, qui lui donnait un air d’attendre un parent, comme ces orphelins sur leur carte-photo…Elle n’était alors qu’une invitée, pour dix jours. Ce dix jours s’est transformé en 30 jours, puis en 60, 90…La semaine prochaine, ça fera six mois que nous vivons ensemble. J’ai non seulement répondu à ma question, je suis devenue maman sans le savoir. Cette petite et moi avons une connection qui se poursuit, notre bonheur quotidien est palpable et me remplit de sérénité, de courage. Il en faut, parce que j’ai décidé, dès les premiers jours sans toutefois l’avoir publiquement révélé, que j’entammerais les procédures d’adoption afin qu’elle devienne officiellement ma fille et moi sa mère. Ces procédures n’en sont qu’aux tout premiers balbutiements. Chaque pas en avant met du temps et des efforts.

Je suis très touchée par l’intérêt que les gens portent à ma situation de maman monoparentale vivant à l’étranger. Le chemin ne fait que commencer et je reçois des courriels de sympathies via mon blogue, via LinkedIn, Facebook. On m’offre de l’aide de tout ordre, juridique, des vêtements, des conseils. Tout est la bienvenue et je peux encore gérer l’affluence alors je ne dirai pas non à quoi ou qui que ce soit. Je tiens à dire que je redirige une partie de cette aide à l’organisme d’où vient Wanwan, notamment avec une collecte de fonds ou d’articles de bébés. Pour de plus amples détails veuillez me contacter directement via l’un de mes sites internet (www.stefanievallee.com, www.peindresanspinceau.com), ou Facebook. Merci du fond du coeur et surtout, faites attention à ce que vous souhaitez, car ça pourrait bien vous arriver! Chaque graine semée finit un jour par germer, si on écoute son coeur sans savoir vraiment pourquoi ni où il nous mène.